LA DERNIÈRE LOI EN DATE POUR RÉPRIMIER LA RÉCIDIVE A ÉTÉ PROMULGUÉE LE
10 AOÛT DERNIER : ELLE EST LA CINQUIÈME EN MOINS DE DIX ANS.
Le dossier est alambiqué. Un imbroglio en plusieurs actes. En matière
juridique, la prévention de la récidive chez les délinquants sexuels
(22% de la population carcérale) est une question douloureuse récemment
remise à l'ordre du jour après le viol d'Enis, cet enfant de 5 ans
enlevé par un pédophile multirécidiviste de 61 ans tout juste sorti de
prison - où il s'était fait prescrire une pilule contre les troubles de
l'érection.
Aussi, le président de la République annonçait-il des mesures
complémentaires à la loi du 10 août 2007 renforçant (déjà) la lutte
contre la récidive : ouverture en 2009, à Lyon, du premier hôpital
fermé pour pédophiles, administration d'une «castration chimique» pour
ceux qui accepteraient de se faire soigner et suppression, pour tous,
d'une quelconque remise de peine. Des mesures supplémentaires parfois
contestées. «Il y a un empilement de textes qui rend tout cela très
compliqué, s'agace Christophe Régnard, secrétaire national de l'Union
syndicale des magistrats (1). Les lois changent tous les six mois, à
chaque fait divers.»
Depuis sa promulgation, quelque temps après la fin de la retentissante
affaire Dutroux, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à
la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des
mineurs a souvent fait l'objet de modifications décidées dans
l'urgence. En décembre 2005, l'introduction du bracelet électronique
mobile dans le suivi socio-judiciaire (2) des délinquants libérés fait
suite à l'assassinat de Nelly Crémel, 39 ans, sauvagement tuée par deux
hommes, dont l'un, condamné à la perpétuité, était en liberté
conditionnelle. Le 10 août 2007, la loi anti-récidive défendue en
procédure d'urgence par Rachida Dati intègre un suivi médical
obligatoire pour les délinquants sexuels après que Sophie Gravaud, 23
ans, ait été étranglée par un homme de 46 ans. Déjà mis en examen pour
«agression sexuelle sur mineure», celui-ci était alors libre sous
contrôle judiciaire. Enfin, le 20 août, l'annonce de mesures par
Nicolas Sarkozy succède au viol d'Enis par Francis Evrard. Pour la
garde des Sceaux, les réformes sont inévitables : «Les formes de
délinquance évoluent, il est normal que la justice évolue.» Dans leurs
«Réflexions» sur le thème de la délinquance sexuelle, trois experts en
la matière, Louis Albrand, Roland Coutanceau et Serge Bornstein,
partagent en partie l'avis ministériel. Ainsi, leur document qui
pourrait être remis aux autorités, aborde-t-il (rendant également un
avis favorable au projet d'hôpital-prison de M. Sarkozy) la question de
l'évolution des auteurs d'agressions sexuelles sur des enfants. «La
pédophilie est devenue une plaie sociale qui ne décroît pas, affirme M.
Bornstein, alimentée sans doute par les réseaux informatiques
prosélytes. Surtout, les pédophiles sont devenus plus violents et
sexuels qu'avant, allant jusqu'au snuff, un acte filmé qui se solde
parfois par le meurtre de l'enfant.» La nauséabonde machine pédophile
provoque des haut-le-coeur.
«Il faut cependant essayer de se dégager de l'émotion, rationalise
Catherine Paulet, psychiatre à la prison des Baumettes et présidente de
l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire
(ASPMP). On ne devrait pas légiférer à partir d'une situation
totalement exceptionnelle. On devrait davantage dresser le bilan du
dispositif législatif en cours.» Car vaste est l'arsenal législatif mis
en place depuis 1998 qui semble souffrir pourtant d'un cruel manque de
moyens. Et dont la batterie de mesures démarre, pour l'essentiel, après
que le condamné ait quitté le pénitencier. «Les soins administrés
devraient commencer pendant la détention, explique Véronique Vasseur,
ancien médecin-chef à la Santé (3). Cependant, comme en prison, le pire
crime est d'avoir violé un enfant, les pédophiles sont haïs des autres
détenus et se font eux-mêmes violer, reçoivent des coups de couteau dès
qu'ils ont été identifiés. Ils adoptent donc un profil bas, ne font
guère appel aux médecins de peur de se faire repérer.» Or les soins,
somatiques comme psychiatriques, ne sont pas obligatoires en prison. En
2005, un amendement des députés prévoyant l'obligation de soins en
prison fut refusé par les sénateurs. «C'est une question délicate,
intervient Catherine Paulet, car la prison est une privation de liberté
et rien d'autre. L'obligation de soins s'apparente à une peine
complémentaire, donc à une double peine.» Le débat fait toujours rage.
(1) Aux dernières élections syndicales, l'USM a recueilli 62% des voix.
(2) A ce jour, 10 personnes sont sous bracelet électronique mobile.
(3) Auteur du livre Médecin-chef à la prison de la Santé, Editions du Cherche Midi.
Katia Clarens - Le Figaro - 24.08.2007, actualisé 25.08.2007
et
LUTTE CONTRE LA PÉDOPHILIE - L'émotion et la raison
Par Me Daniel Soulez Larivière *.
Contrairement aux idées reçues, la délinquance sexuelle n'a pas
véritablement augmenté depuis la guerre et elle est en très grande
majorité intra-familiale. Mais la répression en est de plus en plus
implacable. Si le rythme des mises en détention et leur durée se
poursuivent comme au cours de ces dernières années, c'est une majorité
de détenus pour des «infractions sexuelles» qui peuplera nos prisons
dans moins de dix ans.
1. Francis Evrard a été condamné à 27 ans de prison pour deux viols sur
enfants, soit une peine comparable à celle qui est prononcée pour un
homicide volontaire. Ce mouvement est-il positif ou inquiétant par
rapport aux valeurs ultimes de notre culture ? Telle est la première
question qui se pose, puisque, en tout cas aujourd'hui, le viol d'un
enfant avec récidive est équivalent au meurtre. On peut dire oui ou
non. Mais de cette opinion dépend aussi la place de l'émotion et de la
raison dans le fonctionnement de notre société. Mettre sur le même
plan, dans l'échelle des peines, l'acte d'ôter la vie et l'acte de
pénétration sexuelle est peut-être donner une plus grande place à
l'émotion qu'à la raison. Est-ce ce que nous voulons ? Est-ce que
chaque fait divers va générer une loi particulière ? (!!!!!!!)
2. La deuxième question concerne le rôle du politique. Il se doit, dans
son action d'ordre public, d'éponger l'émotion du corps social par un
discours compassionnel et cathartique. Ne pas assumer ce devoir serait
un manquement à sa fonction. Mais ne pas traiter le sujet dans le réel
de la raison le serait tout autant. L'équilibre est particulièrement
difficile à trouver en matière de crimes pédophiles car ceux-ci créent
une exaspération redoutable chez tous les citoyens qui ne voient de
solution à la récidive, à défaut de la mise à mort, que l'enfermement
pour toujours ou la mutilation, fût-elle chimique. Soit le pédophile
est pris pour un malade qui s'obstine à ne pas guérir et «tant pis pour
lui, éliminons-le». Soit, ce qui est le plus vraisemblable, il n'est
que rarement un «malade» mais plutôt un «déviant», soumis à une
perversion sexuelle (prise dans un moule incassable fabriqué dès
l'enfance) qui le commande plutôt qu'il ne la commande et bien
difficile à «guérir». Comme le dit pertinemment la psychanalyste
Caroline Eliacheff, ce n'est pas un problème de santé publique mais de
«danger public».
Les crimes pédophiles réintroduisent donc subrepticement dans le
fonctionnement pénal l'idée de l'élimination. Alors que depuis octobre
1981, il semble que la société française se soit adaptée à la
suppression de la peine de mort, l'exaspération de ces jours-ci en
réintroduit le concept symbolique. C'est la gravité des conséquences
politiques et culturelles de ces événements qui pose question au
politique.
3. La troisième question reste celle de l'acceptation du risque par
notre collectivité. La récidive zéro n'est effectivement possible que
par l'élimination totale du délinquant. De même que l'absence totale
d'accidents d'avion n'est possible que par la fin de la navigation
aérienne. Mais au-delà de cette position extrême, chacun comprend que
la sécurité est un ensemble de détails et ne se loge pas uniquement à
l'auberge de l'emporte-pièce. Le diable est dans les détails. Cet adage
est fort adapté au cas de Francis Evrard si l'on regarde ses
condamnations, son suivi en prison, ses modalités de libération et ses
prescrïptions médicales. Il serait opportun de faire une analyse
fouillée de tous les petits dysfonctionnements qui ont finalement
abouti au drame, que ce soit par la voie d'une commission ad hoc ou
parlementaire. Au-delà de ces éléments, enseigner aux petits, par leur
famille et par l'école, à ne pas suivre ceux qu'ils ne connaissent pas,
rappeler aux parents cette tâche dans leur éducation, soumettre ceux
qui choisissent de travailler avec les enfants à des tests
particuliers, appliquer un système spécial de liberté conditionnelle
aux graves délinquants sexuels, restaurer des relations plus efficaces
entre l'institution hospitalière et l'administration pénitentiaire
constituent quelques exemples simples des centaines de mesures dont
certaines existent déjà mais qui peuvent être encore développées et
sont de l'ordre du micro-social. Cette politique pointilliste et
pointilleuse ne pourra jamais supprimer le risque mais évitera la
création de nouveaux dommages en voulant en faire radicalement
disparaître d'anciens.
* Avocat au barreau de Paris. Dernier ouvrage paru : Le Temps des
victimes, avec Caroline Eliacheff, Albin Michel (janvier 2007). Le
Figaro 24.08.07, actualisé à5.08.2007