Alors qu'une grande fête allait célébrer le mois prochain ses cent ans et toute une vie aux côtés des plus déshérités, Madeleine Cinquin, plus connue sous le nom de Soeur Emmanuelle, s'est éteinte lundi dans son sommeil à la maison de retraite où elle vivait à Callian (Var). Avec ses éclats de rire et son tutoiement facile, la religieuse a fortement marqué ses contemporains pour son engagement depuis les années 70, principalement auprès des habitants des bidonvilles du Caire. Religieux, politiques et civils engagés ont unanimement salué lundi le départ d'une grande dame de l'humanitaire.
Soeur Emmanuelle "était notre soeur à tous", a notamment déclaré le président Nicolas Sarkozy, soulignant sa "personnalité pétillante, souriante et débordante d'énergie" qui "savait nous interpeller en nous tutoyant pour toucher notre coeur, nos certitudes et notre confort". Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, a salué une "grande pionnière de la solidarité humaine du XXe siècle qui a su, tout comme l'Abbé Pierre, laissé espérer en l'homme dans ce siècle tourmenté où elle restera pour nous une lumière du plus vif éclat".
Au début du mois, était sorti un livre d'entretiens de Soeur Emmanuelle intitulé "J'ai 100 ans et je voudrais vous dire" et réalisé avec Jacques Duquesne et Annabelle Cayrol (Editions Plon). Dans ce texte très vigoureux, vivant et émaillé d'anecdotes méconnues, la religieuse livrait un témoignage particulier dans lequel elle abordait, sans tabou, les sujets les plus personnels comme les plus saisissants: le couple, la sexualité, la maternité, le mariage, ses doutes.
En 2003, dans un entretien au "Parisien", elle se déclarait "ni de droite ni de gauche", mais désireuse de se battre toujours "pour qu'il y ait moins d'injustice". Quitte à défendre des idées qui n'avaient pas vraiment les faveurs du Vatican: "La pilule, c'est une nécessité pour les femmes de certains pays pauvres où l'homme ne respecte pas son épouse et où les bébés viennent en veux-tu, en voilà", plaidait-elle.
"Je suis passionnée de la vie, passionnée d'être, d'exister, de chanter, de courir vers les autres et de leur sourire", résumait-elle aussi, expliquant son énergie dans "la foi en Dieu et la foi en l'homme", et sa bonne forme par "un peu de d'extraits de luzerne dans son thé" le matin et "un morceau de chocolat noir le soir".
Née à Bruxelles le 16 novembre 1908 d'un père français et d'une mère belge, Madeleine Cinquin passe ses premières années entre Bruxelles, Paris et Londres, marquées par la noyade tragique de son père sous ses yeux, alors qu'elle a 6 ans. Elle prononce ses voeux de religieuse en 1931 dans la Congrégation Notre-Dame-de-Sion. Elle devient alors Soeur Emmanuelle et part enseigner les lettres en Turquie puis en Tunisie, avant de s'installer à Alexandrie dans les années 60.
Alors qu'elle prend sa retraite, sensibilisée à la situation des chiffonniers du Caire, pour qui la récupération informelle des déchets est le seul moyen de subsistance, elle décide en 1971 de s'installer parmi eux, dans une cabane du bidonville d'Ezbet El Nakhl, en périphérie du Caire, où les "zabbaline" vivent ignorés et méprisés de tous. Elle y passe 22 ans, créant dispensaires, jardins d'enfants ou écoles dans différents bidonvilles, afin de changer leur quotidien.
Décorée dès 1980 de l'ordre du Mérite, Soeur Emmanuelle suscite l'admiration et déclenche de nombreuses vocations, ce qui se traduit notamment par la fondation de l'Association les amis de Soeur Emmanuelle, en 1980, et de l'association Asmae en 1985 (qui fusionneront en 1987), afin de développer des actions humanitaires, chantiers de construction et partenariats, non seulement en Egypte mais aussi au Sénégal, Philippines, Haïti, Liban ou encore Soudan.
En 1993, Soeur Emmanuelle prend définitivement sa retraite et retourne en France où elle continue cependant à développer les activités de son association (reconnue d'utilité publique en 1999), et à s'engager auprès des pauvres. De 1998 à 2003, elle a encore la force de participer à l'accueil de SDF au sein d'une association à Fréjus et ouvre en 2006 avec son association Asmae un centre d'accueil pour jeunes mères en difficulté à Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Pour toutes ces actions, elle avait été élevée cette année à la distinction de grand officier de la Légion d'Honneur des mains du président Sarkozy.
Conformément à sa volonté, les obsèques de Soeur Emmanuelle auront lieu mercredi à Callian dans la plus stricte intimité, précise la Conférence des évêques de France. Le même jour, à 15h, un hommage lui sera rendu au cours d'une messe de requiem en la cathédrale Notre-Dame de Paris. Selon ses souhaits, une autre messe sera célébrée en sa mémoire samedi à 10h30 à la chapelle Notre-Dame de la Médaille miraculeuse, rue du Bac à Paris. AP
Je voulais simplement lui rendre hommage